Fusion et fission : un avenir commun
Chronique(s) de l’autre nucléaire – Volume 2
« Et quand Il eut fini, que le parc ronronnait, le Génie Français décida de se reposer, et il créa le mois d’août. »
C’est la Rentrée !!
Il est l’heure de s’assumer, de se serrer les coudes et de s’y mettre ! Bienvenue à tous et bon redémarrage.
En cette rentrée 2020 où l’enthousiasme et l’énergie retrouvée doivent être de mise, nous, sympathisants de l’utilisation de l’énergie nucléaire faisons en effet face à plusieurs mauvaises nouvelles (et quelques-unes bonnes comme les 470 millions d’€ du plan de relance français).
Elles ne viennent pas comme une surprise, elles ne sont même pas les pires que nous ayons jamais connues, mais elles continuent de présenter deux caractéristiques qui en font des nouvelles toujours plus graves : 1. elles viennent s’ajouter aux précédentes et précèdent les suivantes, 2. nous y sommes habitués.
La production des unités 1 et 2 de Fessenheim, toujours bien fermées, a été promptement remplacée par des capacités majoritairement fossiles de part et d’autre de la frontière. Le calendrier de démarrage de Flamanville 3 a encore dû être repoussé. Scoop : malgré le silence calculé d’EDF, les Français savent rarement que l’entreprise appuie sa production sur d’autres sources d’énergie que le seul nucléaire (test personnel mené en vacances sur un échantillon de 53 personnes, proches et anonymes). Le marché est lent à se relever. Les PME et ETI de la filière, le tissu industriel, qui tient l’ensemble et maille le territoire, comme tous soldats de première ligne, sont aussi les premières à tomber au front. Les SMR font l’histoire… aux Etats-Unis. Et à la mise à l’arrêt du projet Astrid, nous ne connaissons pas (encore ?) de suites. Finalement, le nucléaire, déjà menacé fortement par le projet de taxonomie européenne, n’aura pas non plus accès à l’European recovery package, 750 milliards d’€ qui vont venir quasi doubler le budget européen.
Reste le chouchou du premier rang, ici : la fusion. ITER. Ou est-ce vraiment le cas ?
Jusque-là « ITER ce n’est pas du nucléaire, c’est de la recherche scientifique ».
Sauf que, Greenpeace, auquel le nom des Voix est désormais associé pour la vie , vient de renouveler ses attaques à l’encontre du projet. Sauf que, si ITER ne perd « que » 7,5% de son budget en provenance de l’Europe, Eurofusion, le programme européen de recherche va lui faire subir une réduction de 20% alors que l’enveloppe globale est réévaluée pour tout le monde à la hausse. Pourtant, ce n’est pas parce que ITER fait finalement, lui aussi, partie de la « famille » que le projet doit être la cible de sanctions injustifiées sur ses opérations.
Industrie actuelle ou technologie d’avenir, petite entreprise ou grand donneur d’ordre, citoyens en leur nom propre ou acteurs de la filière, tous, en faveur de la production d’électricité d’origine nucléaire, nous sommes… concernés, et devons réagir. Pas « prendre la mesure du problème », non, réagir.
Comme aux Voix nous n’aimons pas rester négatifs trop longtemps, nous vous proposons de nous rejoindre au Stand Up for Nuclear, dont nous organisons l’édition française 2020 le 27 septembre à Paris !
Le signal citoyen est essentiel si nous voulons que des décisions politiques ou industrielles favorables puissent se prendre. La décision est la nôtre, qu’allons-nous faire ?
Puisque nous sommes collectivement attaqués, nous allons apporter une réponse collective.
La Rentrée ? C’est l’heure de s’assumer, de se serrer les coudes et de s’y mettre.
Merci Greg de nous montrer le chemin.
Fusion et fission, un avenir commun
Alors que la France poursuivait sa lente remise en route, avant l’été deux événements majeurs se sont produits dans le domaine du nucléaire en l’espace d’un mois :
- le 26 mai débutait la phase d’assemblage de l’enceinte de fusion d’ITER;
- le 30 juin était définitivement mis à l’arrêt le second réacteur de la centrale de Fessenheim.
Un pas de plus vers la maîtrise de la fusion nucléaire d’un côté, la suppression de 900 MW (1800 si on compte le premier réacteur arrêté en février 2020) d’électricité bas-carbone et pilotable de l’autre. Hasard du calendrier sans aucun doute, ce parallèle n’en est pas moins frappant si on réfléchit aux liens présents, mais surtout futurs, entre ces deux filières du nucléaire.
L’avenir : une étape décisive franchie par le projet ITER
L’installation le 26 mai de la base du cryostat d’ITER dans l’enceinte de protection biologique, conçue pour absorber la majeure partie du rayonnement neutronique résiduel émanant du plasma, marque le début de l’assemblage du tokamak, le cœur du projet ITER où un mélange d’isotopes d’hydrogène (deutérium et tritium) sera confiné dans une cage magnétique et porté à 150 millions de degrés pour induire les réactions de fusion.
Une étape d’autant plus importante que la base du cryostat avec ses 1250 tonnes est l’élément le plus massif du tokamak.
Le cryostat est une chambre à vide en acier inoxydable, mesurant environ 30 m de diamètre et autant de hauteur, permettant de garantir l’isolation thermique des bobines magnétiques. Ces dernières doivent être maintenues à une température de -269° C, grâce à de l’hélium liquide, pour être supraconductrices, c’est-à-dire ne pas présenter de résistance au courant électrique.
Le cryostat peut être vu comme un thermos géant, le vide dans le cryostat servant d’isolant thermique. Il est composé d’une base, à peine installée, de deux sections cylindriques et d’un couvercle et contiendra l’ensemble du tokamak. Le cryostat est perforé de 280 ouvertures de différentes tailles (jusque 4 m de largeur) permettant le passage des canalisations (eau, hélium liquide, gaz), les systèmes de chauffage, de diagnostiques, etc.
L’assemblage durera environ 4 ans pendant lesquels se succéderont les livraisons de composants majeurs fabriqués par les 7 pays partenaires du projet.
Les premières bobines toroïdales, qui créeront le champ magnétique principal, sont arrivées. Au nombre de 18, elles mesurent 16 m de haut, 9 m de large et pèsent chacune environ 350 tonnes – le poids d’un Boeing 747 au décollage.
La première bobine poloidale, fabriquée en Chine, d’un diamètre de 10 m et d’un poids de 400 t, est sur site et sera la première à être installée. Le premier élément de la chambre à vide, composée de 9 segments dont 4 sont fabriqués en Corée et 5 en Europe, est arrivé à Cadarache le 7 août. Il annonce le début de la construction d’un composant critique : la chambre à vide est la première barrière de confinement, et doit résister à des contraintes énormes pendant de possibles disruptions, tout en permettant d’atteindre le vide très poussé nécessaire à l’obtention d’un plasma.
Le présent : un lien nécessaire entre fusion et fission
Fusion et fission sont deux procédés permettant de convertir l’énergie des noyaux atomiques en énergie utilisable – de l’électricité la plupart du temps, de la chaleur parfois. Cette énergie provient des neutrons émis pendant le processus qui déposent leur énergie dans un fluide de refroidissement.
La fusion en est au stade de la recherche et le but d’ITER est de démontrer qu’il est possible de générer plus d’énergie par les réactions de fusion qu’il n’en faut pour chauffer le plasma.
La fission déploie des réacteurs de troisième génération et développe la quatrième qui permettra par surgénération (transformation de l’uranium fertile en plutonium fissile) une bien meilleure utilisation du combustible et donc une augmentation significative des ressources utilisables en uranium, tout en réduisant de manière très importante la quantité de déchets ultimes.
Les liens entre ces deux mondes sont encore ténus mais se développent avec la construction d’ITER.
Étant la première installation de fusion reconnue comme Installation Nucléaire de Base, ITER est soumis au contrôle de l’ASN dont l’expertise doit être maintenue active. Beaucoup d’entreprises intervenant sur ITER, mais aussi beaucoup d’employés ou de sous-traitants, ont une expérience antérieure dans l’industrie nucléaire.
La cellule chaude (Hot Cell Complex) par exemple, un complexe de 200 000 m3 où seront réalisés le traitement, la réparation/remise en état, les analyses et l’élimination des composants activés, est développé avec la collaboration d’experts et d’entreprises du secteur nucléaire actuel. Les systèmes de télémanipulation ou l’analyse des matériaux/composants activés sont deux autres exemples de forte synergie entre les deux domaines. L’exemple des projets de construction de réacteurs EPR montre la difficulté à redémarrer la filière construction de réacteurs après une mise en sommeil de la construction de nouvelles unités. La construction future de réacteurs de fusion ne pourra que bénéficier du maintien de cette expertise de gestion et de construction de gros chantiers nucléaires.
Au-delà d’ITER, le design pré-conceptuel de DEMO, le démonstrateur Européen, a récemment été confié à une entreprise d’ingénierie nucléaire reconnue. En Angleterre, le lancement du programme STEP de réacteur de fusion s’accompagne d’efforts pour bénéficier de l’expertise acquise dans le domaine de la fission.
Au-delà de ces aspects pratiques et de mise en œuvre, fission et fusion partagent une même vision de l’énergie ; celle de l’exploitation d’un combustible à très forte densité énergétique dans des unités de production centralisées, de grande puissance et conçues pour être pilotables.
Le nucléaire se place parmi les sources d’énergie possédant les plus fortes densités de puissance, avec 200-1000 W/m2 quand l’éolien et le solaire photovoltaïque présentent des valeurs de l’ordre de 1 à 10-20 W/m2, respectivement. Cela a des impacts au niveau de l’occupation des sols. Il suffit de se représenter que le remplacement de la centrale de Fessenheim par de l’éolien requiert une surface d’environ 1800 km2. A titre de comparaison, le lac de retenue du barrage de Trois-Gorges en Chine a une superficie de 1550 km2 ou encore la superficie de la ville de Tokyo est de 2100 km2. La surface entre deux éoliennes reste partiellement utilisable pour d’autres activités mais l’empreinte au sol demeure.
Partageant cette caractéristique, et au vu des échelles de temps du développement de la fusion, cette dernière ne pourra se déployer qu’avec l’existence d’une grille centralisée et d’un système d’approvisionnement tels que nous les connaissons.
La fusion et la fission partagent donc un avenir commun.
Le maintien, et même le développement, du nucléaire est un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique, un atout qui souffre d’une faible acceptabilité sociale en France notamment. La fusion représente la vision d’un futur possible pour l’humanité et pour la planète. Il l’est pour l’énergie nucléaire également. Un futur qui après l’arrêt du programme français ASTRID (réacteur de quatrième génération) paraît parfois bien incertain.