Femmes, environnement et nucléaire : une relation complexe
Plusieurs études menées dans divers pays depuis les années 1990 montrent que les femmes ont une tendance marquée à être plus opposées au nucléaire que les hommes, en particulier dans les sociétés développées.
Les femmes sont aussi plus largement investies dans les mouvements environnementaux, associations ou ONG. Le féminisme est même associé depuis le milieu du siècle dernier à l’écologisme : on parle d’ailleurs d’Ecoféminisme, un mouvement défini par la philosophe et militante française Françoise d’Eaubonne dans les années 1970.
Des chantres comme Rachel Carson et Wangari Maathai, et de nombreuses autres, ont depuis nourri ce mouvement et ses différentes tendances, la première se concentrant sur l’organisation de protestations contre la pollution des rivières et la deuxième contre la déforestation. Toutes, elles ont participé, et même inspiré, l’émergence de mouvements politiques écologiques dans plusieurs pays et une reconnaissance accrue de la parole et du rôle social et politique des femmes.
Les femmes agiraient alors, selon cette tendance, en cohérence avec leurs rôles traditionnels de “care-giver” et de protectrices de la santé, de l’habitat, de « l’autre que soi », et ainsi, par extension, de l’environnement et de la planète qui nous héberge.
Le nucléaire généralement perçu comme mauvais pour l’environnement
Les femmes, mobilisées sur les questions touchant à l’environnement et particulièrement présentes en écologie politique, sont donc aussi, et malheureusement, plus souvent anti-nucléaires.
Peuvent être cités en France les femmes politiques Michèle Rivasi, Corinne Lepage, et Ségolène Royal ou des dirigeantes du parti EELV (hier Dominique Voynet, aujourd’hui Sandra Regol).
Sur le plan international, on peut citer notamment la militante historique Hélène Caldicott aux Etats-Unis ainsi que la jeune activiste pro-climat Greta Thunberg, nommée par Forbes Magazine parmi les 100 femmes les plus influentes au monde. Cette dernière adopte un discours envers l’énergie nucléaire certes réservé mais pourtant beaucoup plus nuancé.
Si cette présence des femmes est visible au niveau du panorama politique et militant, elle l’est également au niveau de la population en général. Comme pour tous ceux qui rejettent le nucléaire malgré leur attachement à la cause climatique, les femmes sont victimes de la désinformation qui persiste sur le sujet.
C’est une des principales motivations de la fondation des Voix du Nucléaire : informer, rétablir les faits et permettre aux citoyens de décider en toute connaissance de cause.
Les fake news se nourrissent d’un manque de confiance des citoyens, dû en partie à un manque de communication pendant assez longtemps. Si de grands progrès ont été faits dans le domaine, le réflexe de méfiance persiste. Il faut reconnaître également que rares sont les voix des leaders de l’industrie ou des décideurs gouvernementaux qui s’expriment publiquement sur les (bien)faits du nucléaire – fourniture stable et prix bas d’électricité, indépendence relative vis-à-vis des fournisseurs externes, contrairement à d’autres filières, notamment le gaz importé – à un public français qui en bénéficie sans toujours le savoir.
Une défiance plus grande
Le sondage conduit en 2019 pour Orano par BVA montre que 69% des Français pensent que le nucléaire contribue à la production de gaz à effet de serre (CO2) et donc au dérèglement climatique. C’est déjà beaucoup, mais quand on regarde les résultats dans le détail, on voit qu’il y a quasiment deux fois plus de femmes que d’hommes dans ce chiffre (79% des femmes, 40% des hommes) ! *
Si l’attachement aux questions environnementales et de santé des femmes explique une partie de l’écart de perception de celles-ci vis-à-vis du nucléaire par rapport à leur homologues masculins, il ne suffit pas à le justifier entièrement.
Diverses études montrent que les femmes expriment une aversion au risque plus grande que les hommes.
Des études montrent que les femmes ont une aversion au risque plus grande que les hommes, parce qu’elles s’y sentent plus exposées
Une analyse dans le média américain Vox.com en 2016 suggère que les femmes américaines ont une perception différente du risque, y compris quand celui-ci est nucléaire. Ceci car, à l’instar des autres populations vulnérables, socialement et/ou économiquement, les femmes se sentent plus exposées aux conséquences du risque que ne le sont, notamment, ceux qui par leurs fonctions décident de l’exposition des autres.
Les femmes sont aussi à l’avant-garde des mouvements pronucléaires
Une nouvelle mouvance de la société civile, pro-climat et pronucléaire, se développe cependant avec à sa tête de nombreuses femmes :
– A l’étranger, avec Kirsty Gogan d’Energy For Humanity, Jessica Lovering du Breakthrough Institute, les membres de Mothers for Nuclear comme la blogueuse Iida Ruishalme, la twitteuse Katie Mummah, et bien d’autres qui vont à contre-courant de la tendance traditionnelle des femmes de méfiance vis-à vis le nucléaire.
– Mais aussi en France, avec bien sûr « our very own » Myrto Tripathi, représentante de la société civile française pronucléaire qui a fondé et préside Les Voix du Nucléaire, et Valérie Faudon, représentant le secteur nucléaire français depuis la SFEN et qui expose courageusement la réalité des faits sur le nucléaire sur des plateaux télé souvent hostiles.
Ces dernières, sans minimiser les inconvénients de l’énergie nucléaire, ont notamment conclu que ses risques sont eux-mêmes éclipsés par le risque majeur et existentiel que pose le changement climatique, contre lequel le nucléaire constitue une partie essentielle de la solution.
Elles savent aussi que ce sont les femmes, à l’instar des pauvres et des minorités, qui portent le plus grand fardeau lié au changement climatique. Dans une interview récente, la vice-présidente du GIEC**, Valérie Masson-Delmotte, pointe la nécessité d’intégrer les droits des femmes et du genre dans la lutte contre le changement climatique.
Il y a une opportunité d’intégrer le prisme [des droits des femmes dans la stratégie française bas carbone] et d’avoir des approches de gestion de risque, de système d’alerte, d’aide à l’adaptation qui en tiennent compte.
Comment développer cette tendance ?
L’industrie et les décideurs politiques se doivent tout d’abord de progresser dans la direction de plus de transparence, plus d’inclusion, plus de diversité, pour que les citoyen(ne)s se reconnaissent dans les décisions prises et les actions entreprises.
Mais il faut aussi que ces efforts de communication ne tombent pas dans des oreilles sourdes. Or, face à ce qui ressemble parfois à un matraquage médiatique aujourd’hui en France, les arguments en faveur de l’énergie nucléaire sont devenus quasi inaudibles quand ils viennent de l’industrie ou du domaine politique.
Dans ce contexte, les femmes, militantes du climat et favorables au nucléaire, ébranlent plusieurs préjugés à la fois et jouent un rôle efficace d’avocat pour souligner les atouts du nucléaire méconnus aujourd’hui.
Par leur action, elles contribuent à placer l’énergie nucléaire au sein du débat, notamment humain et environnemental – en cohérence avec ces mêmes valeurs d’éthique et de nurturing (protection affectueuse) qui, selon les sociologues, caractériseraient l’approche féminine mais qu’on reconnaît de plus en plus chez les hommes aussi, et notamment les jeunes.
Travaillons à ce que les Greta Thunberg de ce monde n’écartent le nucléaire sur la base de la mauvaise conception qu’elles auraient pu en retirer.
Ces objectifs universels que sont de décarboner nos sociétés, de les rendre résilientes et inclusives et de maintenir un niveau de vie digne pour chacun(e) ne sont pas universels pour rien : ils concernent tout le monde et il appartient donc à tout le monde de participer à ce que toutes les solutions soient évaluées également pour y parvenir.