Réacteurs à eau lourde
Le réacteur à eau lourde (dont le premier modèle est appelé « CANDU » pour Canada Deuterium Uranium) a été développé au Canada dans les années 1950 et 1960. Il est apparu en réaction du refus des Etats-Unis de partager leurs recherches sur l’enrichissement de l’uranium. Dans ce réacteur la fission des atomes d’uranium naturel est utilisée afin de produire une grande quantité de chaleur, comme les autres réacteurs nucléaires. Cette chaleur sert à générer de la vapeur d’eau, qui actionne une turbine reliée à un alternateur qui produit de l’électricité.
Il se démarque toutefois par son usage d’uranium naturel (non enrichi) et son emploi de l’eau lourde (D2O, l’hydrogène est remplacé par du deutérium) au lieu de l’eau ordinaire. Le deutérium est un isotope de l’hydrogène : son noyau possède un proton comme l’hydrogène mais aussi un neutron là où l’hydrogène n’en a pas. L’eau lourde maintenue sous pression, comme dans un réacteur REP, peut atteindre des températures très élevées sans bouillir.
Un noyau de deutérium capture 600 fois moins les neutrons qu’un proton de l’hydrogène de l’eau, d’où l’usage de l’eau lourde qui possède l’avantage de modérer les neutrons sans les absorber. Elle peut donc à la fois servir de fluide caloporteur (substance qui transporte la chaleur) et de modérateur (substance qui ralentit les neutrons, permettant ainsi une fission nucléaire efficace).
Les réacteurs nucléaires utilisant l’eau lourde sont aujourd’hui directement refroidis par le modérateur lui-même (Pressurized Heavy Water moderated and cooled Reactor) là où par le passé ils étaient refroidis par un caloporteur différent (Heavy Water Gas Cooled Reactor). Ils sont des réacteurs à tubes de force, c’est-à-dire que le combustible et le modérateur sont séparés.
La séparation des circuits caloporteurs et modérateurs permet d’améliorer les caractéristiques de sûreté d’un réacteur à eau lourde. De plus, des senseurs contrôlent la température, la pression et le niveau de puissance du réacteur. Ils peuvent arrêter automatiquement le réacteur en quelques secondes si un incident se produit. Un autre système indépendant permet d’injecter un liquide de sûreté qui interrompt immédiatement la réaction nucléaire en cas de dysfonctionnement. Ils fonctionnent sans électricité et peuvent également être actionnés manuellement. En outre, une enceinte de confinement en béton est destinée à retenir les rejets radioactifs en cas d’accident.
Après utilisation, l’uranium est entreposé dans une piscine résistante aux séismes pendant 6 à 10 ans
Les réacteurs à eau lourde présentent un certain nombre d’avantages par rapport aux autres modèles :
- N’ayant pas besoin d’uranium enrichi, ils permettent d’importantes économies au poste combustible ;
- Ils sont conçus pour un rechargement en marche, ce qui élimine de facto les arrêts périodiques ;
- Cela a permis au réacteur CANDU de la centrale canadienne de Darlington a battu le record de longueur d’opération avec 895 jours de fonctionnement ininterrompu en juillet 2020 (plus vieux que toute centrale thermique confondue) ;
- S’il utilise habituellement de l’uranium non-enrichi, ce modèle fonctionne également avec de l’uranium enrichi, du plutonium de l’uranium provenant du combustible irradié des réacteurs à eau légère (LWR) ainsi que du thorium, ce qui pourrait servir à réduire la dépendance à ces derniers [1].
- Les réacteurs PHWR/CANDU sont les seuls réacteurs permettant de déployer un parc de réacteurs à neutrons rapides pour sauver le climat.
Ils présentent également un certain nombre de désavantages :
- L’eau lourde demeure une matière relativement rare et coûteuse à produire (11 % du coût de construction de la centrale nucléaire de Darlington, au Canada, par exemple) ;
- Ils utilisent plus de zirconium et produisent ainsi plus de déchets pour une même quantité d’énergie produite que les réacteurs à eau légère (140 t.GWe/an contre 20 t.GWe/an pour un REP) [2] ;
- Les centrales à eau lourdes ont une emprise au sol plus importante, les barres de combustible devant être plus espacés au sein du réacteur, et l’enceinte de confinement doit être plus vaste. Pour autant, ils permettent un rendement énergétique supérieur à toutes les autres sources d’énergie [3].
48 réacteurs à eau lourde pressurisée sont actuellement en fonctionnement dans le monde [4]. Ils se trouvent en Inde, au Pakistan, en Chine, en Argentine aussi en Corée du Sud et en Roumanie. Les derniers à avoir été mis en service l’ont été dans la centrale nucléaire de Kakrapar (Inde). Ils ont tous deux étés intégrés au réseau en janvier 2021 [5].
La France a exploité dans le passé une centrale à eau lourde en Bretagne (Brennilis) qui a été arrêtée en 1985. Pour autant, la faculté d’adaptation de ces réacteurs à une large variété de combustibles, son rendement assez élevé, la capacité de charger le réacteur en marche et la capacité à remplacer ses composantes en marche qui permet de prolonger sa durée de vie permettent de penser qu’ils continueront de prospérer.
[1] AIEA – Technologie et conception avancées des réacteurs à eau lourde
[2] Harold Feiveson – Spent Fuel from Nuclear Power Reactors
[3] https://www.greenandgreatagain.com/emprise-au-sol-toutes-les-energies-ne-se-valent-pas/
[4] Connaissance des énergies – Parc nucléaire mondial
[5] Base de données PRIS de l’AIEA (28 mai 2020)